jeudi 11 janvier 2018

Nouveau renvoi tragique en Italie

La famille Alaoui [nom d’emprunt], d’origine syrienne, vivait à Damas, pratiquement sous les bombes avant de fuir le pays. Ils étaient dans la guerre et sous le siège de l’armée depuis quatre ans. Ils entendaient les tirs et les explosions, il y avait des morts dans la rue et plusieurs fois les soldats conduisaient des rafles au hasard et emportaient de force les jeunes hommes. Finalement leur maison a été détruite par deux explosions au cours d’un raid aérien. La famille a vécu une année en Libye jusqu’à ce que la situation de sécurité se dégrade à nouveau. Il y avait des échauffourées et les barrages étaient de plus en plus fréquents, ainsi que les arrestations chicanières des miliciens qui ne cessaient de leur demander leurs papiers en leur disant que c’étaient des faux, ou cherchaient des prétextes pour leur extorquer de l’argent.

Ils ont pris un «gros bateau» et sont arrivés sur les côtes de la Sicile. La police a installé un check point directement sur le port à la descente du bateau. Leur nourrisson avait une forte fièvre et un médecin qui se trouvait sur le bateau avait dit qu’il devait être conduit à l’hôpital. Les policiers ont refusé que le bébé y soit amené tant que les formalités d’enregistrement n’étaient pas accomplies.

À l’hôpital, la petite a été gardée de 4 h du matin à 16 h le jour suivant. Puis ils sont partis. Ils ont erré pendant deux jours avant de se rendre à Milan où ils ont envisagé de passer la nuit dans un parc. Une personne parlant l’arabe les a abordés et les a conduits dans un endroit où ils pourraient dormir. C’était les sous-sols d’un bâtiment, avec de petites fenêtres trop hautes pour voir dehors, où s’entassaient 15 personnes, dont plusieurs enfants. Ils dormaient assis par terre. Il n’y avait rien, aucun aménagement, pas de matelas ni même de cartons au sol. L’endroit était malsain et nauséabond, mais il faisait très froid dehors. Après trois jours, ils sont venus en Suisse où ils ont demandé l’asile.

Ils sont arrivés tous ensemble, Mme et M. Alaoui et leur bébé, les parents et deux frères de Madame. Pour des raisons inconnues, le SEM a attribué les parents et les frères au canton de Neuchâtel, et le couple avec le bébé au canton de Vaud. Madame n’avait jamais vécu sans ses parents et cette séparation incompréhensible a été une souffrance pour elle.

Toute la famille s’est rapidement trouvée prise dans les procédures Dublin de renvoi vers l’Italie. Mais le canton de Neuchâtel a renoncé au renvoi des parents et des frères qui vont maintenant rester en Suisse pour leur demande d’asile. Tandis que le SPOP met tout son zèle à renvoyer Mme Alaoui, son mari et leur petite fille âgée maintenant de 1 ½ an.

Or, la famille est très vulnérable. L’enfant est née prématurément avec un poids de moins de 1 kg! Dans les premiers jours, les premières semaines et les premiers mois de sa vie, où la famille vivait dans des conditions extrêmes en situation d’exil, ses parents ont maintes fois cru qu’elle allait mourir. Ils ont contracté des angoisses importantes et une sensibilité accrue aux risques liés aux déplacements forcés. Madame est effrayée à l’idée de se trouver à nouveau déstabilisée par un renvoi dans un pays où elle a mal vécu, dans un état de détresse et où il n’est nullement garanti qu’ils auront accès à un logement, ni aux soins médicaux indispensables au bon développement de l’enfant.

Elle se trouverait séparée pour de vrai de ses parents dont la présence et le soutien sont pourtant indispensables. Un certificat médical explique en effet que l’enfant est suivie régulièrement en neuropédiatrie du fait d’un handicap causé par une naissance prématurée et des séquelles neurologiques. L’enfant présente un retard de développement moteur. Il s’agit d’un handicap à long terme avec un pronostique réservé.

Le renvoi de la famille en Italie est contraire aux intérêts de l’enfant qui a besoin de stabilité, de préserver ses liens avec ses grands-parents et ses oncles, et d’un suivi neuropédiatrique spécialisé au long cours.

Ce suivi serait irrémédiablement interrompu, ce qui porterait une atteinte irréversible à la santé de l’enfant qui souffre d’un handicap moteur susceptible de ne pas évoluer positivement. Toute atteinte à la santé, prévisible et potentiellement irréversible, en toute connaissance de cause, est un mauvais traitement au sens de l’article 3 CEDH.

La coupure de l’enfant de son environnement constitué en Suisse, à un âge où il n’est pas en mesure de comprendre les raisons de ces changements et moins encore la séparation d’avec ses grands-parents, porte atteinte à son sentiment de sécurité et à son bien-être. L’exécution du renvoi emporterait violation du droit de l’enfant au respect de sa vie familiale au sens de l’article 8 CEDH.

Actuellement, M. Alaoui a été placé en détention administrative. Son épouse est paniquée et désorientée. Une fois de plus la sécurité et la santé de sa fille sont exposées à un danger, ce qui est insupportable.

La place de l’enfant et les questionnements sur son bien-être sont insuffisants dans les décisions tant fédérales que cantonales en matière d’asile, ce qui aggrave considérablement la brutalité des renvois Dublin et porte atteinte au droit des familles de vivre dans la dignité et en paix. Les intrusions disproportionnées de l’autorité de police dérangent et détruisent le cadre qu’elles instaurent parfois avec peine, censé garantir la sécurité de leurs enfants. 
 
Droit de rester, 11 janvier 2018.

Pour citer ou reproduire l’article :
Nouveau renvoi tragique en Italie, janvier 2018, http://droit-de-rester.blogspot.ch/

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